Notre expérience en Amazonie
Depuis Bogota, nous atterrissons à Leticia, la plus grosse ville colombienne en Amazonie. Dans les rues, nous apercevons vite de de nombreuses agences qui ont pignon sur rue. Elles proposent des tours de plusieurs jours dans la forêt. Difficile de choisir parmi toutes ces offres plus alléchantes les unes que les autres. Au final, nous décidons de faire un tour de trois jours et deux nuits à Santa Sofia afin de mieux connaître la vie amazonienne.
Nous partons donc en bateau pour rejoindre la communauté indigène de Santa Sofia qui se trouve à moins d’une heure de Leticia.
Santa Sofia
Une fois arrivés sur le rivage boueux et non aménagé, nous escaladons la berge munis de nos bottes. Nous sommes censés y rencontrer un homme au tee-shirt jaune. Personne ne nous attend. Un indigène qui semble connaître les lieux nous indique le chemin à prendre pour atteindre la maison de notre guide. Nous arrivons à hauteur d’un homme d’un certain âge et lui demandons s’il connaît ce « Rogelio ».
Il sourit et se présente : « à votre service ». Nous qui comptions nous enfoncer dans la forêt de Santa Sofia, nous sommes étonnés d’avoir pour guide un vieil homme…
Il nous invite à monter dans sa grande maison en bois. Nous nous installons à l’étage où une très belle vue sur la forêt nous accueille. Aucun voisin à l’horizon. Il nous sert un jus de citron frais et commence à se présenter. Pour étayer ses dires, il part nous chercher un article qui lui avait été consacré 6 ans auparavant. 7 pages documentées de photos présentent « Rogelio » comme étant un Chaman aguerri reconnu dans l’administration d’Ayahuesca.
Durant la matinée, nous échangeons à propos de l’Ayahuesca, ce breuvage « magique » utilisé depuis des millénaires par les indigènes qui est censé purifié le corps et l’esprit. Hallucinogène, nous pouvons apparemment nous réincarner en animal et faire une profonde introspection durant le rituel. Curieux par les effets de cette racine, nous finissons par lui demander si nous pourrions en prendre. Il approuve et contre toute attente nous propose d’en prendre le soir même. Il doit cependant au préalable tout nous expliquer sur ce rite chamanique et ce breuvage. De l’Ayahuesca, ça ne se prend pas comme une limonade, une préparation est nécessaire. Rogelio insiste, il propose de l’ayahuesca pure et médicinale. Il nous explique les dérives liées au succès de cette plante. Est né un commerce juteux où des faux chamans jouent avec la vie de touristes sans connaître la vraie préparation de cette potion.
L’après-midi nous suivons Rogelio jusque dans la forêt de Santa Sofia. Il nous présente enfin la racine et nous demande de la toucher des deux mains. Durant 15 longues minutes nous devons demander à la plante ce que nous aimerions guérir en nous. Pendant ce temps, Rogelio fait des incantations derrière nous. Sur la route du retour, il nous montre son savoir des plantes. Chaque arbre possède des vertus qu’il connaît avec précision.
En route vers l’Ayahueshca
En fin d’après midi, munis de nos hamacs et de nos moustiquaires, nous allons en direction d’un lieu précis en forêt. Un gigantesque arbre s’y trouve. C’est à cet endroit précis que Rogelio exerce son rite chamanique. Ce lieu est chargé d’histoire puisque son arrière grand-père, lui aussi chaman, administrait l’Ayahuesca à ce même endroit. Malgré son âge Rogelio marche a un rythme soutenu et traverse des cours d’eau sur des branches d’arbres.
Après une bonne demi-heure de marche, nous arrivons à l’endroit où nous dormirons en hamac. Rogelio continue son rituel de préparation. Il crache sa fumée de cigarette dans nos mains et sur notre tête afin de déceler si nous sommes « sains ». Nous installons notre camp et nous nous posons à même le sol. Le fils de Rogelio et son gendre doivent nous apporter notre repas en début de soirée. Chose faite, nous dégustons un bon poisson fraîchement pêché. La nuit tombée, Nabil, le fils de Rogelio nous emmène dans la forêt à la recherche des nombreux insectes qui s’y trouvent. Munis de nos lampes-torche, nous apercevons beaucoup d’araignées qui pour la grande majorité sont venimeuses. Il nous montre aussi les fourmis aux grandes dents solides qui s’enfoncent sur son pouce. Nabil nous explique que la forêt est un labyrinthe immense et qu’âgé de neuf ans, il s’est perdu avec son frère.
Pendant 7 jours, il ont dû se débrouiller et essayer de se rappeler quels fruits et quelles plantes étaient comestibles pour survivre. C’est finalement en tapant sur le tronc d’un arbre qu’ils ont été retrouvés au bout d’une semaine, sains et saufs.
Le beau village de Santa Sofia
L'arbre où nous passerons la nuit.
A notre retour, il est enfin temps de prendre l’Ayahuesca. Excitation et appréhension se mêlent. Rogelio nous rappelle les effets sur notre corps : elle est utilisée dans le cadre médicinal et a pour but de nous laver l’estomac et de nous purger. On est prévenus ! Nous avons le droit à un verre entier chacun que nous finissons avec difficulté. C’est fort et infecte.
Rogelio agite son bouquet de feuilles de maïs en face de nous et entonnent quelques chants. Il secoue également son chapelet chamanique. Nous patientons jusqu’à ressentir les premiers effets du breuvage. On est assis à côté, on se parle, on se demande ce que l’on ressent. Puis, au bout d’une petite heure, les premières hallucinations apparaissent. Pour Géo, ça lui tourne la tête (sensation d’être alcoolisé) et pour Maou, visualisations d’images (type dessin animé) sur le tronc de l’immense arbre. On a également un gros coup de fatigue.
Il est donc environ 23h quand on sent les premiers effets, après cela, on n’aura plus aucune notion du temps. On se concentre sur la nature environnante. Les branches et arbres qui prennent des formes d’animaux (chats, oiseaux, cheval, panthère noire). Des visages familiers ou non qui s’affichent sur le tronc d’arbre, de manière très brève et continuelle. Voulant toucher le sol, il semble très bas, inatteignable. Au niveau physique, comme annoncé par Rogelio, nous avons donc rejeté le breuvage (moment très désagréable mais content de s’en débarrasser). Les hallucinations continuent, on est conscients de ce qu’il nous arrive. La lumière de la torche nous est désagréable, on voit des oscillations noires et cela nous fait tourner la tête. Rogelio continue d’agiter son bouquet. A 80 ans, au milieu de la nuit et dans la forêt, il ne dort pas.
Marianne aimerait se lever mais ne se sent pas capable de le faire. Ses jambes tremblent ainsi que tout son corps. Géo est allongé, à bout de force. On n’a qu’une envie, c’est d’aller se coucher, à l’abri des araignées, dans notre moustiquaire.
Une fois que les vomissements estompés, nous regagnons nos hamacs. Il est 3h du matin. Nous ne dormirons pas. Les pensées continuent d’affluer. Nous rentrons au petit matin à la maison de Rogelio, prenons un bain frais dans la rivière avec lui. Cela permet au corps et à la tête de refroidir. Ça fait du bien !
Il nous demandera rapidement ce qu’on a vu et comment l’on se sent. On s’attendait à une analyse un peu plus approfondie, mais pour lui « todo bien » (tout va bien).
On se repose la matinée et l’après-midi, on passe à une autre activité.
Visite de la communauté indigène, El Progreso.
C’est avec son gendre que nous sommes partis à travers la forêt inondable et celle surélevée afin de rejoindre la communauté El Progreso. Le chemin est tout tracé, c’est une balade de deux petites heures. Sur place, on discute avec un indigène qui nous explique les traditions ancestrales. Par exemple, le fait que deux personnes issues d’un même groupe ne peuvent pas se marier entre elles. C’est un peu un système de castes. Si un homme est tigre, il devra choisir une femme d’un autre groupe, supérieur ou inférieur au sien. Ou encore, avant, lorsque la jeune fille devenait une femme, elle était retenue prisonnière dans sa maison pendant une année afin de lui trouver un mari et d’organiser les préparatifs du mariage.
Ils parlent la langue indigène au quotidien et apprennent l’espagnol à l’école.
Le chef du village travaille en collaboration avec le gouvernement pour mettre sur pied des projets pour la communauté.
Conservation et préservation des œufs de tortue
Après le repas du soir, le fils de Rogelio et son gendre nous attendent pour nous emmener à la plage aux tortues. Nous ne connaissons ni l’endroit ni ce qu’ils y font concrètement. C’est en barque motorisée et sans lumière que nous atteignons au bout d’une heure de transport un large banc de sable. Deux lumières s’agitent au loin. Ce sont les collègues qui gardent la plage, ils nous indiquent leur présence pour qu’on puisse garer le bateau et prendre la relève. Ces deux indigènes gardent depuis maintenant deux heures la plage. On nous explique alors que les œufs de tortues sont braconnés et que l’espèce est menacée dans la région. Sur un important nombre d’oeufs pondus, rares sont les bébés tortues qui arriveront à rejoindre le fleuve.
Lors de sa ponte, la tortue laisse beaucoup de traces rendant le chemin tout tracé pour les braconniers. En effet, certains indigènes peu scrupuleux préfèrent voir ces œufs terminer dans leurs assiettes plutôt que d’attendre leurs éclosions. Missionnée par une association, la famille de Rogelio se rend quotidiennement sur cette plage pour récolter les œufs, les répertorier pour ensuite les enterrer discrètement, sans laisser de traces cette fois-ci. C’est à priori le seul moyen pour sauver ces œufs des prédateurs humains. C’est donc ce que nous sommes partis faire. Seules trois personnes connaissent l’emplacement des œufs. Encore mieux cachés qu’à Pâques, quelques indices permettent tout de même de retrouver les œufs enfouis. Le gendre de Rogelio nous montrera plusieurs œufs qu’il prendra soin de redissimuler sous le sable.
La plage faisant plusieurs kilomètres de long, il s’agissait donc de repérer les nouvelles pontes de la veille et de brouiller les pistes des braconneurs. Cette fois-ci pas de nouvelle ponte. Selon leur calendrier, les œufs devraient éclore dans quatre jours, la mission est presque réussie.
Deux jours dans la jungle
Frustrés de ne pas s’être plus enfoncés dans la forêt, nous avons demandé à Rogelio junior et Nabil, les fils de Rogelio, de nous y emmener. Nous voulions nous immerger davantage dans l’Amazonie, goûter à l’aventure. C’est donc le lendemain matin que nous sommes partis en forêt munis de nos machettes et de nos hamacs. Sur le chemin , Nabil ramasse une tige qui ressemble à un serpent et nous tapote les parties du corps. Il nous explique que ce rituel indigène permet de nous protéger contre les morsures de serpents.
Nous rencontrons rapidement une tarentule sur le tronc d’un arbre. Certaines espèces sortent la nuit, d’autres le jour. Même si elle est impressionnante et que ses poils sont urticants, elle n’est pas mortelle. Nous suivons Nabil qui fraye notre chemin dans la jungle qui est de plus en plus dense. Nous croisons un énorme ver poilu qui lui, est mortel et rare. Au fil de la balade, nous nous rendons compte que nombreux sont les insectes dangereux.
On se pose la question de « mais comment font-ils pour se repérer dans cette forêt si dense ? ». Ils nous répondent que c’est grâce à la position du soleil et au type de feuilles et d’arbres. Plus ils se rapprochent de chez eux, plus ils reconnaissent la végétation qui est leur est familière.
Nabil coupe une liane avec sa machette et nous la tend. Celle-ci abrite de l’eau potable. Finalement, avec beaucoup de connaissances, il est possible de survivre dans ce milieu d’apparence hostile. Bien moins habile que Nabil, Géo s’ouvre légèrement les doigts avec sa machette en escaladant un tronc. Cela tombe bien puisque nous sommes en face de l’arbre adéquat. Notre guide lui fait un pansement en tordant de l’écorce et en y ajoutant la sève. Celle-ci est cicatrisante et arrête le saignement. Nous en avons la preuve, cela se montre très efficace.
Nous nous arrêtons au bord d’un bras de l’Amazone. Les fils de Rogelio nous avaient prévenus : si nous voulons manger, il faudra pêcher. Puisqu’il pleut, un des frères construit un camp pendant que l’autre fabrique deux cannes à pêche. Au bout de 30 minutes, ça mord à l’hameçon de Maou et le poisson semble être gros ! En le ramenant, Nabil et Rogelio nous expliquent que c’est un poisson électrique d’environ un mètre. Lui aussi est mortel s’il émet une décharge. Il est comestible mais compliqué à préparer. Nous décidons de le relâcher.
Nous suivons Rogelio junior qui part pêcher un peu plus loin en utilisant pour appât un poisson récemment sorti de l’eau. L’objectif est cette fois-ci de pêcher des carnassiers et notamment : des piranhas.
Le piranha est difficile à pêcher car très rapide et mord peu à l’hameçon, ça se joue donc à la seconde près. Nous arrivons à en pêcher trois plus un poisson appelé « savon », reconnu pour glisser entre les mains. Pour ce qui est du piranha, nous avons pu tester la réputation de ses dents aiguisées en insérant une tige dans sa gueule. Résultat : ça coupe net !
Nos guides nous proposent ensuite de nous baigner et de nous laver dans cette même rivière où nous pêchions. Surgissent naturellement nos réflexes d’occidentaux : « Se baigner ? avec des piranhas ??! ».
Il paraît que les piranhas n’attaquent qu’en présence de sang, nous leurs faisons confiance sans être très rassurés quand il est le moment de s’immerger totalement dans l’eau obscure.
Une fois la baignade terminée, nous découvrons le camp que Nabil a construit. On est ébahis de voir comment il a transformé l’espace en une heure. Même le meilleur aventurier de Koh Lanta ne parviendrait pas à une telle prouesse.
Il a monté un auvent protégé d’une bâche sous lequel nos deux hamacs sont suspendus. A côté, le feu de bois crépite, prêt à cuire notre pêche du jour. La nuit tombe vite, vers 18h. Avec Géo, on déguste un piranha chacun, juste avec une pointe de sel. C’est vraiment bon ! Très attentionné, Nabil nous a fait cuire du riz et un œuf dur, ainsi que préparé du yuca avec un peu d’eau (céréale typique de l’Amazonie). Nous écoutons les bruits de la forêt qui chantent fort. Nabil et Rogelio nous racontent toutes sortes d’aventures qu’ils ont vécues ici et les projets qu’ils mettent en place pour préserver les animaux. Nous nous couchons tôt car une marche nocturne nous attend à 4h du matin. Pour notre part, nous rejoignons nos hamacs et une fois que nous nous sommes assurés que la moustiquaire est bien fermée, nous pouvons dormir tranquilles. Nous avons découvert le confort du hamac et rêvons déjà de renouveler l’expérience.
Comme prévu, le réveil sonne tôt. Nous rangeons nos affaires et marchons deux bonnes heures en direction du village. Sur le chemin, nous apercevons seulement des araignées.
En arrivant à la maison de Rogelio, il est déjà levé et prêt à aller se baigner dans la rivière. Nous le suivons pour notre dernier bain dans cette eau argileuse. Nous lui racontons notre expérience dans la forêt avec ses fils, à qui il leur a tout appris.
Nous rentrons prendre notre petit-déjeuner et il est bientôt l’heure de prendre le bateau direction Leticia. Rogelio nous accompagne, nous passons un dernier moment avec lui et d’autres habitants de Santa Sofia. Ils nous racontent avoir vu un animal non identifié dans l’Amazone qui ferait au moins 50 mètres. Rogelio le surnomme « le monstre ».
Les aurevoirs sont chaleureux et sincères. Lors de notre tour du monde, certaines personnes nous marquent plus que d’autres, c’est le cas pour cette famille.
Petite fille de Rogelio
Singe laineux recueilli par une famille de Santa Sofia
Fillettes d'un des villages au bord de l'Amazone
Vue depuis Puerto Narino